Edito Juin 2025

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De la reconstruction à l’innovation : une odyssée des prothèses et des orthèses, de l’après-guerre à demain.

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe se relevait à peine de ses blessures. Dans les hôpitaux militaires et civils, des milliers de corps mutilés exigeaient plus qu’une simple réparation : ils réclamaient la possibilité de se tenir debout, de marcher, de saisir, de redevenir acteurs de leur quotidien. C’est dans ce contexte que la prothèse et l’orthèse, longtemps reléguées à la marge des préoccupations médicales, sont devenues des éléments centraux du parcours de soins.

Les premières décennies d’après-guerre ont été marquées par une approche pragmatique et artisanale. Les matériaux provenaient souvent de surplus militaires, les ajustements se faisaient à l’œil et à la main, et les priorités étaient simples : stabiliser, soutenir, restaurer une fonction minimale. Mais déjà, dans les ateliers et les laboratoires, des esprits innovants posaient les bases d’une transformation plus profonde. À partir des années 1960 et 1970, l’orthopédie externe commence à se structurer en tant que discipline technique et clinique, avec ses formations, ses normes, et surtout, sa volonté de sortir de l’empirisme.

Les décennies suivantes ont vu l’irruption massive de la technologie dans notre champ. La modélisation informatique, la fabrication assistée par ordinateur, l’essor de matériaux composites plus légers et plus résistants ont bouleversé les pratiques. Les années 2000 ont accéléré encore le mouvement, avec l’intégration de l’électronique, des moteurs, des capteurs et de l’intelligence embarquée. Les prothèses sont devenues bioniques, les orthèses intelligentes. Elles ne se contentent plus de compenser une perte, elles anticipent les besoins, s’adaptent en temps réel, réagissent aux signaux musculaires, parfois même cérébraux.

Mais cette révolution n’est pas seulement technique. Elle est profondément humaine. Les patients sont devenus des usagers exigeants, des partenaires actifs, parfois même des co-concepteurs. Ils veulent du sur-mesure, certes fonctionnel, mais aussi esthétique, connecté, modulable. Le confort, la légèreté, l’autonomie, la discrétion sont devenus des exigences aussi fortes que la stabilité ou l’efficacité biomécanique. Cette évolution a redéfini en profondeur les contours du métier d’orthoprothésiste, désormais à la croisée des chemins entre ingénierie, clinique, ergonomie et design.

Aujourd’hui, notre discipline est à un tournant. Les frontières entre biologie et technologie s’effacent peu à peu. La prothèse n’est plus un ajout, mais une extension. L’orthèse n’est plus une contrainte, mais un accompagnement actif du mouvement. L’impression 3D permet une personnalisation sans précédent. Les interfaces neuronales ouvrent la voie à un contrôle intuitif. L’intelligence artificielle, demain, permettra d’analyser, de corriger, d’optimiser chaque mouvement. Les promesses sont immenses. Mais elles posent aussi des questions fondamentales : jusqu’où aller ? À quel coût ? Pour qui ? Avec quelle éthique ?

C’est là toute la complexité – et la beauté – de notre mission. Nous ne concevons pas seulement des dispositifs, nous construisons des ponts entre le corps et la technique, entre la fragilité humaine et la résilience technologique. Nous devons garder à l’esprit que derrière chaque appareillage, il y a une histoire, un projet de vie, une dignité à préserver.

Dans nos prochaines publications, il serait intéressant de retracer ce parcours exceptionnel, de l’urgence de la reconstruction à l’ère des solutions intelligentes, en mettant en lumière les grandes étapes, les ruptures technologiques, mais aussi les évolutions sociétales et éthiques qui ont façonné notre profession.

Et parce que l’histoire ne s’écrit jamais au passé, il nous appartient désormais de penser l’avenir. Celui d’une orthopédie plus accessible, plus équitable, plus écologique, plus humaine. De faire le lien entre savoirs anciens et innovations de rupture. De former les prochaines générations à la fois aux gestes du métier et à la pensée critique. De porter, ensemble, une vision ambitieuse et inclusive de notre art.

Car si la technique évolue, notre finalité reste la même : redonner du mouvement, de l’autonomie, et, autant que faire se peut, un peu de liberté.

Je vous souhaite une excellente lecture des articles du Journal de l’Orthopédie, et une découverte enrichissante du portail de l’Académie !

Jean – Pierre LISSAC

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